Aux racines et à l’avant-garde : la Bourgogne viticole entre tradition et modernité

11/10/2025

Un vignoble sous le sceau de l’histoire : repères essentiels pour comprendre la Bourgogne

La Bourgogne viticole, c’est l’un des plus anciens et vénérés vignobles du monde. Parcourir ses côteaux, c’est traverser plus de deux millénaires d’histoire : des moines cisterciens du Moyen Âge, qui ont minutieusement délimité les parcelles et transmis leur science, aux générations actuelles de vignerons perpétuant un héritage, chaque domaine est le reflet d’un dialogue constant entre tradition et innovation. Cette dualité façonne tout, de la vigne au verre.

Éléments distinctifs de la viticulture traditionnelle en Bourgogne

La notion de viticulture traditionnelle en Bourgogne ne signifie pas immuabilité, mais respect de pratiques éprouvées, adaptées lentement au fil du temps. Les méthodes « historiques » s’appuient sur l’observation fine de la nature, une connaissance quasi intuitive de chaque parcelle et le respect du travail manuel.

  • La taille : le « guyot simple » ou « guyot double », mode de taille répandu depuis le XIXe siècle, impose une vigne basse parfois cocassement appelée la « vigne à genoux ». Ce système favorise la maturité du raisin et limite le rendement, privilégiant la concentration des arômes (voir BIVB).
  • Le travail du sol : la traction animale, avec le cheval, est emblématique, particulièrement sur les climats pentus où le respect des sols est fondamental (Clos de Tart, Domaine de la Romanée-Conti).
  • Les traitements phytosanitaires : historiquement, la bouillie bordelaise et le soufre dominent. Peu d’intrants autres que ces produits "naturels" n’étaient utilisés avant l’avènement des synthèses chimiques au XXe siècle.
  • Les vendanges : exclusivement manuelles dans les grands crus, elles permettent un tri méticuleux à la parcelle. La vendange entière (garde des grappes avec rafles) caractérise encore certains domaines (cf. Domaine Dujac).

Ce modèle, longtemps immuable, a vu son équilibre perturbé par l’irruption de la mécanisation, des produits phytosanitaires, puis des attentes sociétales à partir des années 1970.

L’accélération de la modernisation dès la seconde moitié du XXe siècle

La modernité en Bourgogne, c’est d’abord l’arrivée de la mécanisation. Tracteurs, enjambeurs, machines à vendanger – très rares dans les Grands Crus, mais répandues dans certaines appellations régionales (Bourgogne, Mâconnais) –, modifient le rapport au temps, au rendement et à la pénibilité. L’implémentation de l’analyse scientifique (suivi de la maturité, sélection massale ou clonale, contrôle œnologique) façonne une nouvelle ère, tournée vers la précision et la compréhension du vivant.

  • Mécanisation : Dès 1950, l’arrivée du tracteur remplace progressivement la traction animale pour le travail du sol et du palissage.
  • Phytosanitaire et fertilisation : Apparition massive dans les années 1960-70 des produits issus de la chimie de synthèse. Donnée marquante : Entre 1980 et 2000, la consommation française de pesticides agricoles a été multipliée par près de 5 (Ministère de l’Agriculture).
  • Contrôle œnologique : généralisation des contrôles sur la maturité des raisins (acidité, sucres), installation de cuveries en inox, thermorégulation. Les pratiques d’assemblage et d’élevage (fûts neufs, micro-oxygénation) intègrent les apports des sciences œnologiques tout en respectant la spécificité des climats.

Une rupture fondamentale, introduite dans les années 1970-80, a été l’essor du contrôle qualitif à l’échelle de chaque parcelle, consolidant la réputation mondiale des appellations bourguignonnes. La création de l’AOC "Bourgogne" dès 1937 protège juridiquement ce patrimoine.

Entre écologie, bio, et haute technologie : la « nouvelle modernité » des années 2000-2020

L’éveil environnemental : un enjeu crucial

Face à la montée des enjeux écologiques, de nombreux domaines engagent une mutation profonde de leurs pratiques vers le « mieux produire ». La Bourgogne, qui compte plus de 29 000 hectares de vignes (source : BIVB), voit s’accélérer la conversion à l’agriculture biologique et biodynamique (Domaine Leflaive à Puligny, Domaine Trapet à Gevrey-Chambertin).

  • Certification biologique : En 2021, 26% du vignoble bourguignon était conduit en bio ou en conversion, contre moins de 3% en 2000 (BIVB).
  • Biodynamie : Une quarantaine de domaines, dont plusieurs de renom, sont en biodynamie certifiée (Demeter, Biodyvin). Cette approche proscrit tout produit chimique, recourt à des préparations végétales, et intègre le rythme des astres.
  • Viticulture de précision : Techniques d’imagerie satellitaire et drones permettent aujourd’hui de cartographier le stress hydrique ou azoté, de cibler les traitements et de réduire l’empreinte environnementale.

Certains domaines, comme le Domaine Faiveley ou le Domaine Arlaud, investissent dans la pulvérisation confinée, réduisant de 30 à 50% les volumes de produits utilisés (Vitisphère).

Travailler la vigne autrement, sans jamais renier l’esprit du lieu

La Bourgogne, plus que nulle part ailleurs, s’arc-boute sur le respect du terroir. Moderniser, ici, ne veut pas dire uniformiser. Les vignerons réintroduisent le cheval de trait pour l’entretien des rangs les plus précieux (Romanée-Conti, Clos de Tart) ; d’autres explorent des cépages résistants comme le Pinot Beurrot ou cherchent à mieux anticiper le changement climatique par la gestion de la surface foliaire, la densité de plantation ou l’exposition des sols.

  • La densité de plantation : Traditionnellement, une très forte densité de vignes (jusqu’à 10 000 pieds/ha) – dictée par la réglementation AOC – garantit une concurrence entre pieds, synonyme de qualité. Les essais modernes visent à trouver le juste équilibre entre concentration et résilience.
  • Gestion de la canopée : Face à l’augmentation des températures (sur les trente dernières années, le climat bourguignon s’est réchauffé de 1,5°C, source Météo France), l’exposition des grappes et le maintien de l’acidité sont au cœur des préoccupations.

Le défi du changement climatique : réinventer la Bourgogne sans la trahir

Le millésime 2003, marqué par une canicule exceptionnelle, a ouvert une nouvelle ère : aujourd’hui, on vendange près de trois semaines plus tôt qu’il y a 40 ans (source Vitisphere). L’acidité, jadis critère de longévité des grands vins bourguignons, doit être préservée par des choix culturaux et œnologiques plus précis : gestion des date de vendange, sélection des clones, adaptation des vinifications (moins d’extraction, moins de fûts neufs parfois).

  • Climats et cépages : La Bourgogne demeure le royaume du pinot noir et du chardonnay, mais observe des essais avec l’aligoté, voire le césar ou le tressot, pour diversifier les réponses aux nouveaux défis climatiques.
  • Altitude et orientation : Certains domaines commencent à planter plus haut ou privilégient les expositions est/nord pour conserver fraîcheur et finesse.

L’adaptabilité devient un mot d’ordre ; l’expertise séculaire se conjugue à la flexibilité, sans que les racines profondes et la notion de climat ne cèdent le pas à la tentation du standard. La modernité, ici, s’enracine dans la fidélité à l’héritage autant que dans le souci d’inventer un nouveau modèle.

L’art de la vinification : continuité et révolutions maîtrisées

La cave, véritable laboratoire de la tradition, n’échappe pas à la modernité. Les outils se sophistiquent mais l’objectif demeure : révéler, non masquer, le génie du terroir.

  1. Cuves : l’inox s’est généralisé pour sa neutralité aromatique et sa facilité d’entretien, mais bois (foudres, fûts bourguignons) et béton gardent leur place selon les choix stylistiques.
  2. Fermentations : la maîtrise des températures, grâce à la thermorégulation, permet de mieux extraire couleur et arômes sans perdre en élégance. Le recours aux levures indigènes, jugées plus « terroir », progresse, même dans les cuveries high-tech.
  3. Élevage : le bois neuf, autrefois marqueur du prestige (jusqu’à 100% sur certains grands crus dans les années 1980), est aujourd’hui dosé avec parcimonie : 20 à 50% sur les meilleurs crus, moins sur les villages, pour ne pas dominer le fruit.

Ici encore, l’évolution ne se fait jamais au détriment de l’âme des vins : la tradition du « minimum intervention » est une boussole pour la transformation douce.

Transmettre autrement : formation, transmission, ouverture internationale

La Bourgogne, longtemps discrète et repliée sur ses villages, s’ouvre désormais au monde. Les domaines majeurs accueillent des stagiaires du monde entier, les associations (comme les Climats du vignoble de Bourgogne, inscrits à l’UNESCO depuis 2015) œuvrent à la transmission des savoirs à une nouvelle génération, plus formée, plus connectée, mais toujours attachée à la terre.

  • L’école des vins de Bourgogne (Beaune) forme chaque année plus de 6 000 amateurs et professionnels, un chiffre en croissance régulière (source : BIVB).
  • Ouverture à l’export : Avec 56% de la production exportée en 2022 (BIVB), la Bourgogne partage son héritage tout en se confrontant aux attentes d’un marché international exigeant, tant sur la qualité que sur le développement durable.

Vers une Bourgogne du futur : l’alchimie vivante entre héritage et innovation

L’histoire des domaines bourguignons se lit comme une mosaïque d’ajustements, de choix, de retours aux sources autant que d’ouvertures sur l’inédit. Si le respect du terroir et la typicité restent des boussoles inaltérables, la viticulture s’enrichit des avancées techniques, des nouveaux savoirs et d’une conscience environnementale renforcée.

La Bourgogne, laboratoire d’idées et de pratiques, cherche ainsi non seulement à perdurer sous le sceau de la qualité, mais à inspirer d’autres vignobles dans le monde. Être vigneron ici, c’est conjuguer au présent un art ancestral : chaque millésime, témoin de ces dialogues entre hier et aujourd’hui, livre un vin unique, ambassadeur d’un patrimoine que modernité et tradition, loin de s’opposer, rendent plus vivant que jamais.

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