Chablis : quand la géologie dessine l’âme des vins

12/09/2025

Un terroir unique, matrice des grands blancs de Bourgogne

Situé à l’extrême nord de la Bourgogne viticole, le vignoble de Chablis déploie environ 5 800 hectares de vignes autour du village éponyme. Réputée mondialement pour la pureté de ses blancs issus du cépage chardonnay, cette région doit son identité à une fascinante mosaïque de sols, héritée de l’histoire géologique de la Terre. Pour comprendre la singularité des vins de Chablis, il faut alors s’intéresser à la roche-mère : alliance de calcaire, d’argile, de fossiles et de minéraux. Chaque parcelle, chaque climat, parle à sa façon le langage du sol. (Source : chablis.fr)

Quelle est l’origine géologique du vignoble de Chablis ?

Il y a environ 150 millions d’années, la mer recouvrait la région actuelle de Chablis. À l’ère du Jurassique, deux formations majeures se mettent en place :

  • Le Kimméridgien (entre 154 et 148 millions d’années) : une alternance de marnes, de calcaires et d’argiles riches en fossiles marins, notamment , une petite huître*. Ce sol signe le prestige de Chablis. *Note : ces fossiles sont emblématiques de la région, au point de figurer fréquemment sur les logos ou les étiquettes des domaines.
  • Le Portlandien (de 148 à 142 millions d’années) : calcaire dur, pauvre en argile, moins fossilifère et plus récent.

Entre ces deux couches, quelques poches de terrains alluviaux et caillouteux complètent la mosaïque. Cette architecture géologique détermine le classement des appellations chablisiennes et le profil des vins.

(Source : bourgogne-wines.com)

Les trois grands types de sols de Chablis

1. Les marnes kimméridgiennes, berceau des Grands et Premiers Crus

  • Composition : Alternance de couches marneuses (mélange d’argile et calcaire) et de bancs calcaires durs.
  • Principaux fossiles : Abondance d’, molasses, ammonites et bélemnites.
  • Secteurs concernés :
    • Les sept Grands Crus de Chablis (Les Clos, Vaudésir, Valmur, Blanchot, Preuses, Bougros et Grenouilles) situés sur la rive droite du Serein.
    • La grande majorité des Premiers Crus.
  • Effets sur les vins :
    • Structure : des vins tendus, ciselés, à l’acidité tranchante, capables de vieillir plusieurs décennies.
    • Arômes : expression minérale marquée (silex, coquille d’huître), notes d’agrumes frais, parfois iodées.
    • Texture : bouche cristalline, parfois crayeuse, persistance remarquable.

2. Les calcaires portlandiens, territoire du Petit Chablis

  • Composition : Roche calcaire compacte, sol plus aride, pauvre en argile et en fossiles.
  • Secteurs concernés : Plateau sur les hauteurs entourant le Chablisien, en marge du cœur historique.
  • Effets sur les vins :
    • Structure : vins plus légers, floraux, à la minéralité plus discrète.
    • Arômes : fleurs blanches, pomme verte, agrumes mûrs.
    • Texture : fraîche, vivace, à boire jeune pour leur éclat.

3. Les alluvions et cailloux, compléments locaux

  • Composition : Argiles sableuses, galets roulés, sédiments apportés par la rivière Serein.
  • Secteurs concernés : Certaines plaines et parcelles en fond de vallon.
  • Effets sur les vins : Parfois davantage de rondeur, moins de tension, souplesse accrue.

L’influence des sols sur la typicité des vins

Croquis d’un verre de Chablis selon son origine

  • Petit Chablis : robe pâle, nez citronné, bouche sur la vivacité et la légèreté.
  • Chablis « village » (sur Kimméridgien) : nez de pierre à fusil, fruits blancs, bouche tendue, finale saline.
  • Chablis Premier Cru/Grand Cru : nez complexe (pêche blanche, fleurs jaunes, coquille d’huître, fumé), palais ample, droiture, allonge sur le minéral.

Une analyse du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB) révèle que 85 % des Chablis et Chablis Premier Cru sont issus de terroirs kimméridgiens, alors que la totalité du Petit Chablis émane du Portlandien (BIVB). Ces chiffres recoupent le ressenti en dégustation : la minéralité, cette sensation gustative complexe mêlant pierre mouillée, iode et acidité raffinée, tire indéniablement ses racines dans le sol, plus que dans le simple climat.

La typicité, un dialogue entre sol et climat

Le sol n’est rien sans l’exposition ou la pente. Par exemple :

  • Les Grands Crus, tous orientés sud-ouest, hissent leur maturité et leur structure grâce à la conjonction du Kimméridgien et d’une exposition solaire privilégiée.
  • Un Chablis Premier Cru « Fourchaume » sur des argiles profondes diffèrera d’un « Montée de Tonnerre » plus crayeux, même si tous deux partagent la base kimméridgienne.

Ainsi, dans la même commune, un vigneron pourra exploiter jusqu’à trois types de sols différents, multipliant les expressions du chardonnay.

Étude de cas : Les Grands Crus de Chablis

La colline des Grands Crus, majestueuse rive droite du Serein, s’étend sur 104 hectares au total, découpés en sept climats*. De « Les Clos » à « Blanchot », la constance du Kimméridgien s’accompagne de subtiles nuances :

  • Les Clos : sol peu profond, présence de nombreux cailloux et d’argile brune ; vin le plus puissant, structuré, long en bouche.
  • Vaudésir : vallon plus frais, argiles blanches pures ; élégance, fraîcheur, intensité florale.
  • Preuses : plus de marnes, finesse et tension exquise.

*Le terme « climat », typiquement bourguignon, désigne ici une parcelle précisément délimitée, reconnue pour ses caractéristiques uniques de sol et de microclimat (voir : INAO, liste des climats classés en Grand Cru).

Déjà au 19 siècle, les vignerons chablisiens avaient cartographié leur terroir selon la couche dominante. Une tradition empirique mais visionnaire, confirmée aujourd’hui par analyses géologiques précises (SIG Bourgogne).

Anecdotes et chiffres clés sur la géologie chablisienne

  • Nombre de fossiles par mètre carré dans certaines parcelles de Grands Crus : jusqu’à 30 fragments d’ (Fontenay, 1991).
  • Profondeur moyenne des sols sur Grands Crus : 30 à 90 cm, rarement plus, induisant un enracinement profond et un stress hydrique modéré.
  • Production annuelle (2022) : près de 40 millions de bouteilles de Chablis toutes appellations confondues, dont 13 % en Premier Cru et 2 % en Grand Cru (Vins de Bourgogne).
  • Saviez-vous ? Lors de la rénovation de la Cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, les tailleurs de pierre utilisaient déjà le calcaire dur du Portlandien, identique à celui du Petit Chablis (Archives départementales de l’Yonne).

Un patrimoine vivant, à explorer verre en main

L’étude des sols de Chablis ne se résume pas à un exercice d’érudition géologique. C’est la clef pour percevoir, à travers chaque gorgée, la main invisible du terroir. Le vigneron accompagne la nature, mais c’est la stratification multimillénaire kimméridgienne qui confère à Chablis cet équilibre entre pureté, fraîcheur et race. Le plaisir du dégustateur est alors d’essayer, millésime après millésime, de décoder ce langage minéral : un message né il y a des millions d’années, transmis aujourd’hui dans chaque verre, qu’il vienne d’un Grand Cru, d’un Premier Cru ou d’un simple (mais étonnant) Petit Chablis.

Pour aller plus loin, une visite in situ avec un géologue ou une dégustation comparative entre climats permet de mieux ressentir cette fabuleuse pluralité, et d’apprécier Chablis non seulement comme un vin, mais comme la page d’un livre ouvert sur la terre et le temps.

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